30 mars 2010
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« Quelle neutralité de l’Etat ? » par Paul LÖWENTHAL, professeur émérite à l’UCL dans lalibre.be du 24 mars 2010. Bonjour Monsieur LÖWENTHAL,
J’ai lu avec intérêt votre article : « Quelle neutralité de l’Etat ? ». Il va de soi que la neutralité s’impose à notre « Etat laïque ( ? ) et à ses représentants ». Mais pourquoi ? Non pas tant pour décider s’il faut ou non interdire, ici et là, l’expression des signes religieux ou philosophiques, mais d’abord, selon moi, parce que, au-delà de la liberté d’expression individuelle de chacun, la laïcité «politique» impose de n’influencer personne, ce qui reste hélas possible actuellement en l’absence d’un apprentissage précoce de l’esprit critique à tous points de vue, et ce dès l’école. J’y reviendrai.
Il y a en effet deux manières de concevoir la neutralité. La première consiste en « une abstention, une absence », à « s’abstenir de parler », comme disait Jules FERRY, pour qui la neutralité absolue n’existe pas. De fait, les mots qu’on utilise, si l’on n’y prend garde, ont déjà inconsciemment une connotation religieuse ou philosophique. Vous avez raison d’écrire : «On veut ainsi que les enseignants masquent leurs convictions personnelles, pour être (ou au moins paraître) également accessibles à tous. Sans égard pour le fait que les adolescents, férus d’authenticité, voudront au contraire que leurs professeurs aient l’honnêteté de dire qui ils sont ! ». A condition que les religions l'acceptent un jour, informer sans influencer, afin que chaque élève puisse se forger sa propre « vérité », partielle et provisoire, et qu’il décide, aussi librement et tardivement que possible, de croire ou de ne pas croire, relève d’un « art pédagogique » difficile, auquel nos enseignants ne sont pas encore préparés. Cela leur est d’ailleurs pratiquement interdit actuellement. Par contre, je ne vous suis pas lorsque vous estimez que « la laïcité philosophique est en effet érigée par ces athées militants en pensée de la laïcité politique, ce qui justifierait une discrimination en sa faveur ».
A mes yeux l’humanisme, celui de Protagoras, pour qui « l’homme est la mesure de toutes choses », ne requiert théoriquement aucun qualificatif, qu’il soit laïque, athée, chrétien ou musulman. Mais, à mon sens, leurs fondements et leurs objectifs respectifs sont si différents qu’il faut les distinguer : l’humanisme religieux, fondé sur une « Vérité » exclusive, est par nature évangélisateur, tandis que l’humanisme laïque, s’il se passe de toute référence transcendantale, n’est pas pour autant antireligieux, et n’incite pas à l’athéisme. Bien compris, il prône seulement des conditions éducatives permettant le libre choix des convictions philosophiques OU religieuses Mais « donner priorité à la liberté » n’est possible selon moi qu’à la condition d’organiser enfin un système éducatif pluraliste proposant à TOUS les jeunes une information minimale, adaptée à l’entendement de chaque âge, objective et non prosélyte. Cela leur ferait découvrir : d’une part, les différentes options religieuses, mais aussi, ne leur en déplaise, ce que toutes les religions ont un commun, à des degrés divers : la soumission à un dieu et à un livre « sacré », ET d’autre part, les différentes options laïques que sont l’agnosticisme, l’incroyance et l’athéisme, et ce qu’elles ont toutes en commun : le libre examen, l’esprit critique à tous égards, la liberté de pensée, l’autonomie de la conscience, la liberté individuelle, l’acceptation de la différence enrichissante de l’autre, la recherche d’un sens à donner à l’existence, par l’humanisme laïque, la morale laïque, la spiritualité laïque, actuellement occultés dans l’enseignement confessionnel. En bref, une alternative laïque, plus capable à mes yeux que les religions d’assurer l’ « humanisation et la socialisation ».
Un tel enseignement pluraliste compenserait l’influence affective des parents, certes sincère et légitime, mais unilatérale, qu’ils soient croyants ou non. Il réduirait aussi l’influence des inégalités intellectuelles inhérentes aux différences de niveau socioculturel. L’intérêt supérieur de l’enfant étant selon moi prioritaire par rapport aux droits traditionnels des parents, l’enseignement officiel et l’enseignement confessionnel devraient évidemment fusionner à plus ou moins brève échéance. En effet, malgré la récupération apparente de quelques valeurs laïques, l’enseignement confessionnel reste en effet fidèle à son projet éducatif visant à conserver une mainmise sur les consciences. A mon sens, il reste fondamentalement élitiste, inégalitaire, communautariste, prosélyte, et donc obsolète et inadapté à notre époque de pluralisme des cultures et des convictions. Afin d’éviter le risque d’un « nivellement par le bas », un accompagnement individuel et gratuit des élèves en difficulté devrait bien sûr être prévu. La formation des enseignants, et un « recyclage » devraient également avoir lieu, afin qu’ils n’influencent pas leurs élèves par leurs propres convictions, mais qu’ils les amènent à choisir les leurs, en connaissance de cause et aussi librement que possible.
Vous souhaitez « donner une conscience à l’Europe ». Certes, mais à condition qu’elle ne soit pas noyautée par les religions, comme on le constate notamment au Parlement européen. Et pour cause : face à la déconfessionnalistion et à la laïcisation croissantes et irréversibles de nos sociétés, sauf rares exceptions telles que l’Irlande ou la Pologne, toutes les religions réagissent par des tentatives de réinvestissement des consciences, de reconfessionnalisation de l’espace public et de néocléricalisme politique, surtout depuis Jean-Paul II, Benoît XVI, le chanoine-président Sarkozy 1er, et autres créationnistes et sectaires. J’ai émis l’hypothèse, audacieuse j’en conviens, que la difficulté de bien des croyants à remettre en question des certitudes qu’ils n’ont pas choisies, pourrait s’expliquer par certaines observations psycho-neuro-physio-génético-cognotivo-éducatives : leur éducation religieuse précoce, forcément affective et leur milieu culturel croyant unilatéral, laissent des traces indélébiles et inconscientes, confirmées par l’IRM fonctionnelle, dans le cerveau émotionnel, ce qui influence, à des degrés divers, le cerveau rationnel, et donc l' esprit critique, indépendamment de l' intelligence et de l'intellect, du moins dès qu’il est question de religion. Votre commentaire m’intéresserait vivement. Je vous en remercie déjà.
Cordialement, Michel THYS à Waterloo. http://michel.thys.over-blog.org
Réponse de Paul LOWENTHAL
Cher Monsieur,
Merci pour votre réaction systématique à mon « Opinion » dans La Libre. Puisque vous voulez bien me demander de réagir à mon tour, voici les quelques points que je discuterais dans votre message et dans votre article sur une « nouvelle approche du religieux ». - « L’humanisme laïque, s’il se passe de toute référence transcendantale, n’est pas pour autant antireligieux, et n’incite pas à l’athéisme » : pas nécessairement, non – j’ai des dialogues passionnants avec des incroyants – mais bien dans le chef des plus militants, qui traînent une haine du religieux qui ne le cède en rien à la hargne « bien-pensante » ou fanatisée de croyants bornés. Soit dit en passant, ce que vous reprenez d’Henri Laborit est un sophisme : vous n’êtes pas tout à fait libre, donc vous n’êtes pas libre…
- Ce que vous dites des conditionnements mentaux du religieux est juste mais, primo ne vaut pas pour les fois les plus mûries : je connais des théologiens et des prêtres qui sont aussi pétris que moi de doutes et qui sont constamment « en recherche » – et en porte-à-faux avec leurs autorités ; secundo, cela vaut tout autant pour bien des athées militants. Je concède que proportionnellement moins, parce qu’on ne peut se réfugier dans l’humanisme comme on peut le faire dans une religion : l’humaniste s’expose pleinement. Mais la lecture des journaux – et pas seulement des courriers de lecteurs et des forums – n’est pas moins affligeante d’un côté que de l’autre… En corollaire, les ouvertures que vous dites communes aux diverses options laïques est aussi commune avec les fois religieuses : « le libre examen (oui, même lui : les questions sont là, avant les réponses !), l’esprit critique à tous égards, la liberté de pensée, l’autonomie de la conscience, la liberté individuelle, l’acceptation de la différence enrichissante de l’autre, la recherche d’un sens à donner à l’existence » – que nous trouvons ailleurs que l’humaniste athée, bien sûr. On trouve certes des réfractaires, mais dans les deux « camps ».
- Il est vrai que l’humanisme athée n’est pas examiné dans l’enseignement confessionnel – pas plus que les autres religions. Mais savez-vous que Laurette Onkelinx a interdit aux écoles confessionnelles d’enseigner une autre religion que la leur propre ? C’est qu’il fallait protéger l’enseignement officiel contre la tentation des musulmans d’envoyer leurs enfants dans les écoles catholiques où « il y a au moins une religion »… La même Mme Onkelinx ne verrait sûrement pas d’inconvénient à ce qu’on y enseigne l’humanisme – mais toutes les convictions devant être mises sur le même pied, neutralité oblige, cela serait jugé discriminatoire : beaucoup de laïques peinent à accepter cette égalité de traitement. - Cela repose donc, comme vous le faites, la question d’un enseignement de religions et philosophies comparées. J’y suis tout à fait favorable, dans tous les réseaux scolaires – et pour les mêmes raisons que vous : éduquer à l’intelligence critique et conduire à des choix adultes. A quoi s’ajoute l’utilité d’une connaissance des diverses composantes de notre culture. Mais je ne vais pas jusqu’à envisager que cet enseignement se substitue aux religions et morale laïque actuelles. Hervé Hasquin l’avait proposé dans les deux dernières années du secondaire : cela veut dire que les courants religieux ou philosophiques (le bouddhisme en est désormais) perdraient leur capacité d’enseignement propre à l’âge où les jeunes commencent à comprendre ce qui est en jeu et à pouvoir réfléchir. Autant proclamer que la religion est pour les gosses…
Indépendamment de cet argument « politique », vous serez d’accord que l’objectif serait de mettre les diverses convictions en perspective et d’apprendre l’esprit (auto)critique, et pas de supprimer l’éducation religieuse ou humaniste dans un « marché » de convictions interchangeables qui ne recouvriraient donc plus de véritables convictions. Ajouter un enseignement comparatif poserait de gros problèmes pratiques mais, surtout, celui des enseignants. Vous dites qu’il faudra les former : il faudra d’abord former leurs formateurs et il y faudra (ou faudrait) deux générations… Ce serait de toute façon une fin à poursuivre, mais il faudra trouver autre chose à court terme : des sessions communes entre les divers cours, par exemple – mais cela sera déjà difficile parce que cela suppose des enseignants à la fois bien disposés et disponibles en même temps… - Vous reprochez aux religions de réinvestir les consciences et l’espace public. Bien sûr qu’elles le font – et elles en ont pleinement le droit, pour autant qu’elles respectent les fondements de nos sociétés et, notamment, renoncent à imposer leurs vues. A la RTBF, Philippe Walkowiak vient d’accuser Mgr Léonard de ne pas respecter la démocratie parce qu’il demande à voir rediscuter la législation sur l’avortement : mais tout citoyen a le droit de critiquer les lois existantes, et cela se fait constamment : comment sinon les législations évolueraient-elles ?! Refuser ce droit de critique, c’est tout bonnement refuser l’accès au débat citoyen, donc à la démocratie ! Je ne suis pas d’accord avec Mgr Léonard, mais il a le droit de dire ce qu’il pense : il jouit lui aussi de la liberté d’expression, et l’État laïque a le devoir, non seulement de la respecter mais de la protéger ! Voilà : j’ai été plus long que je ne pensais au départ…
Encore merci et bien à vous, Paul LOWENTHAL Beau-Frene 4 B - 1315 Pietrebais 010 84 50 17 http://lowenthal.webnode.com
J’ai lu avec intérêt votre article : « Quelle neutralité de l’Etat ? ». Il va de soi que la neutralité s’impose à notre « Etat laïque ( ? ) et à ses représentants ». Mais pourquoi ? Non pas tant pour décider s’il faut ou non interdire, ici et là, l’expression des signes religieux ou philosophiques, mais d’abord, selon moi, parce que, au-delà de la liberté d’expression individuelle de chacun, la laïcité «politique» impose de n’influencer personne, ce qui reste hélas possible actuellement en l’absence d’un apprentissage précoce de l’esprit critique à tous points de vue, et ce dès l’école. J’y reviendrai.
Il y a en effet deux manières de concevoir la neutralité. La première consiste en « une abstention, une absence », à « s’abstenir de parler », comme disait Jules FERRY, pour qui la neutralité absolue n’existe pas. De fait, les mots qu’on utilise, si l’on n’y prend garde, ont déjà inconsciemment une connotation religieuse ou philosophique. Vous avez raison d’écrire : «On veut ainsi que les enseignants masquent leurs convictions personnelles, pour être (ou au moins paraître) également accessibles à tous. Sans égard pour le fait que les adolescents, férus d’authenticité, voudront au contraire que leurs professeurs aient l’honnêteté de dire qui ils sont ! ». A condition que les religions l'acceptent un jour, informer sans influencer, afin que chaque élève puisse se forger sa propre « vérité », partielle et provisoire, et qu’il décide, aussi librement et tardivement que possible, de croire ou de ne pas croire, relève d’un « art pédagogique » difficile, auquel nos enseignants ne sont pas encore préparés. Cela leur est d’ailleurs pratiquement interdit actuellement. Par contre, je ne vous suis pas lorsque vous estimez que « la laïcité philosophique est en effet érigée par ces athées militants en pensée de la laïcité politique, ce qui justifierait une discrimination en sa faveur ».
A mes yeux l’humanisme, celui de Protagoras, pour qui « l’homme est la mesure de toutes choses », ne requiert théoriquement aucun qualificatif, qu’il soit laïque, athée, chrétien ou musulman. Mais, à mon sens, leurs fondements et leurs objectifs respectifs sont si différents qu’il faut les distinguer : l’humanisme religieux, fondé sur une « Vérité » exclusive, est par nature évangélisateur, tandis que l’humanisme laïque, s’il se passe de toute référence transcendantale, n’est pas pour autant antireligieux, et n’incite pas à l’athéisme. Bien compris, il prône seulement des conditions éducatives permettant le libre choix des convictions philosophiques OU religieuses Mais « donner priorité à la liberté » n’est possible selon moi qu’à la condition d’organiser enfin un système éducatif pluraliste proposant à TOUS les jeunes une information minimale, adaptée à l’entendement de chaque âge, objective et non prosélyte. Cela leur ferait découvrir : d’une part, les différentes options religieuses, mais aussi, ne leur en déplaise, ce que toutes les religions ont un commun, à des degrés divers : la soumission à un dieu et à un livre « sacré », ET d’autre part, les différentes options laïques que sont l’agnosticisme, l’incroyance et l’athéisme, et ce qu’elles ont toutes en commun : le libre examen, l’esprit critique à tous égards, la liberté de pensée, l’autonomie de la conscience, la liberté individuelle, l’acceptation de la différence enrichissante de l’autre, la recherche d’un sens à donner à l’existence, par l’humanisme laïque, la morale laïque, la spiritualité laïque, actuellement occultés dans l’enseignement confessionnel. En bref, une alternative laïque, plus capable à mes yeux que les religions d’assurer l’ « humanisation et la socialisation ».
Un tel enseignement pluraliste compenserait l’influence affective des parents, certes sincère et légitime, mais unilatérale, qu’ils soient croyants ou non. Il réduirait aussi l’influence des inégalités intellectuelles inhérentes aux différences de niveau socioculturel. L’intérêt supérieur de l’enfant étant selon moi prioritaire par rapport aux droits traditionnels des parents, l’enseignement officiel et l’enseignement confessionnel devraient évidemment fusionner à plus ou moins brève échéance. En effet, malgré la récupération apparente de quelques valeurs laïques, l’enseignement confessionnel reste en effet fidèle à son projet éducatif visant à conserver une mainmise sur les consciences. A mon sens, il reste fondamentalement élitiste, inégalitaire, communautariste, prosélyte, et donc obsolète et inadapté à notre époque de pluralisme des cultures et des convictions. Afin d’éviter le risque d’un « nivellement par le bas », un accompagnement individuel et gratuit des élèves en difficulté devrait bien sûr être prévu. La formation des enseignants, et un « recyclage » devraient également avoir lieu, afin qu’ils n’influencent pas leurs élèves par leurs propres convictions, mais qu’ils les amènent à choisir les leurs, en connaissance de cause et aussi librement que possible.
Vous souhaitez « donner une conscience à l’Europe ». Certes, mais à condition qu’elle ne soit pas noyautée par les religions, comme on le constate notamment au Parlement européen. Et pour cause : face à la déconfessionnalistion et à la laïcisation croissantes et irréversibles de nos sociétés, sauf rares exceptions telles que l’Irlande ou la Pologne, toutes les religions réagissent par des tentatives de réinvestissement des consciences, de reconfessionnalisation de l’espace public et de néocléricalisme politique, surtout depuis Jean-Paul II, Benoît XVI, le chanoine-président Sarkozy 1er, et autres créationnistes et sectaires. J’ai émis l’hypothèse, audacieuse j’en conviens, que la difficulté de bien des croyants à remettre en question des certitudes qu’ils n’ont pas choisies, pourrait s’expliquer par certaines observations psycho-neuro-physio-génético-cognotivo-éducatives : leur éducation religieuse précoce, forcément affective et leur milieu culturel croyant unilatéral, laissent des traces indélébiles et inconscientes, confirmées par l’IRM fonctionnelle, dans le cerveau émotionnel, ce qui influence, à des degrés divers, le cerveau rationnel, et donc l' esprit critique, indépendamment de l' intelligence et de l'intellect, du moins dès qu’il est question de religion. Votre commentaire m’intéresserait vivement. Je vous en remercie déjà.
Cordialement, Michel THYS à Waterloo. http://michel.thys.over-blog.org
Réponse de Paul LOWENTHAL
Cher Monsieur,
Merci pour votre réaction systématique à mon « Opinion » dans La Libre. Puisque vous voulez bien me demander de réagir à mon tour, voici les quelques points que je discuterais dans votre message et dans votre article sur une « nouvelle approche du religieux ». - « L’humanisme laïque, s’il se passe de toute référence transcendantale, n’est pas pour autant antireligieux, et n’incite pas à l’athéisme » : pas nécessairement, non – j’ai des dialogues passionnants avec des incroyants – mais bien dans le chef des plus militants, qui traînent une haine du religieux qui ne le cède en rien à la hargne « bien-pensante » ou fanatisée de croyants bornés. Soit dit en passant, ce que vous reprenez d’Henri Laborit est un sophisme : vous n’êtes pas tout à fait libre, donc vous n’êtes pas libre…
- Ce que vous dites des conditionnements mentaux du religieux est juste mais, primo ne vaut pas pour les fois les plus mûries : je connais des théologiens et des prêtres qui sont aussi pétris que moi de doutes et qui sont constamment « en recherche » – et en porte-à-faux avec leurs autorités ; secundo, cela vaut tout autant pour bien des athées militants. Je concède que proportionnellement moins, parce qu’on ne peut se réfugier dans l’humanisme comme on peut le faire dans une religion : l’humaniste s’expose pleinement. Mais la lecture des journaux – et pas seulement des courriers de lecteurs et des forums – n’est pas moins affligeante d’un côté que de l’autre… En corollaire, les ouvertures que vous dites communes aux diverses options laïques est aussi commune avec les fois religieuses : « le libre examen (oui, même lui : les questions sont là, avant les réponses !), l’esprit critique à tous égards, la liberté de pensée, l’autonomie de la conscience, la liberté individuelle, l’acceptation de la différence enrichissante de l’autre, la recherche d’un sens à donner à l’existence » – que nous trouvons ailleurs que l’humaniste athée, bien sûr. On trouve certes des réfractaires, mais dans les deux « camps ».
- Il est vrai que l’humanisme athée n’est pas examiné dans l’enseignement confessionnel – pas plus que les autres religions. Mais savez-vous que Laurette Onkelinx a interdit aux écoles confessionnelles d’enseigner une autre religion que la leur propre ? C’est qu’il fallait protéger l’enseignement officiel contre la tentation des musulmans d’envoyer leurs enfants dans les écoles catholiques où « il y a au moins une religion »… La même Mme Onkelinx ne verrait sûrement pas d’inconvénient à ce qu’on y enseigne l’humanisme – mais toutes les convictions devant être mises sur le même pied, neutralité oblige, cela serait jugé discriminatoire : beaucoup de laïques peinent à accepter cette égalité de traitement. - Cela repose donc, comme vous le faites, la question d’un enseignement de religions et philosophies comparées. J’y suis tout à fait favorable, dans tous les réseaux scolaires – et pour les mêmes raisons que vous : éduquer à l’intelligence critique et conduire à des choix adultes. A quoi s’ajoute l’utilité d’une connaissance des diverses composantes de notre culture. Mais je ne vais pas jusqu’à envisager que cet enseignement se substitue aux religions et morale laïque actuelles. Hervé Hasquin l’avait proposé dans les deux dernières années du secondaire : cela veut dire que les courants religieux ou philosophiques (le bouddhisme en est désormais) perdraient leur capacité d’enseignement propre à l’âge où les jeunes commencent à comprendre ce qui est en jeu et à pouvoir réfléchir. Autant proclamer que la religion est pour les gosses…
Indépendamment de cet argument « politique », vous serez d’accord que l’objectif serait de mettre les diverses convictions en perspective et d’apprendre l’esprit (auto)critique, et pas de supprimer l’éducation religieuse ou humaniste dans un « marché » de convictions interchangeables qui ne recouvriraient donc plus de véritables convictions. Ajouter un enseignement comparatif poserait de gros problèmes pratiques mais, surtout, celui des enseignants. Vous dites qu’il faudra les former : il faudra d’abord former leurs formateurs et il y faudra (ou faudrait) deux générations… Ce serait de toute façon une fin à poursuivre, mais il faudra trouver autre chose à court terme : des sessions communes entre les divers cours, par exemple – mais cela sera déjà difficile parce que cela suppose des enseignants à la fois bien disposés et disponibles en même temps… - Vous reprochez aux religions de réinvestir les consciences et l’espace public. Bien sûr qu’elles le font – et elles en ont pleinement le droit, pour autant qu’elles respectent les fondements de nos sociétés et, notamment, renoncent à imposer leurs vues. A la RTBF, Philippe Walkowiak vient d’accuser Mgr Léonard de ne pas respecter la démocratie parce qu’il demande à voir rediscuter la législation sur l’avortement : mais tout citoyen a le droit de critiquer les lois existantes, et cela se fait constamment : comment sinon les législations évolueraient-elles ?! Refuser ce droit de critique, c’est tout bonnement refuser l’accès au débat citoyen, donc à la démocratie ! Je ne suis pas d’accord avec Mgr Léonard, mais il a le droit de dire ce qu’il pense : il jouit lui aussi de la liberté d’expression, et l’État laïque a le devoir, non seulement de la respecter mais de la protéger ! Voilà : j’ai été plus long que je ne pensais au départ…
Encore merci et bien à vous, Paul LOWENTHAL Beau-Frene 4 B - 1315 Pietrebais 010 84 50 17 http://lowenthal.webnode.com