Voici le commentaire que j'ai envoyé à Christian de DUVE, à propos de son livre
« De Jésus à Jésus, en passant par Darwin », ainsi que sa brève réponse :
Cher Professeur Christian de DUVE,
Je partage largement vos vues, sauf lorsque vous écrivez que "Jésus est notre seul espoir (...)".
D'une part, en effet, vous avez écrit que les religions "n'ont pas abandonné leur prétention à détenir la vérité suprême", et (ajouterai-je) à l'imposer au monde entier dans l'avenir.
Je crains donc, à plus ou moins long terme, un affrontement croissant entre les fondamentalistes chrétiens évangélistes et islamistes, notamment.
D'autre part, l'existence « historique » de Jésus, indépendamment de son message d'« amour du prochain », reste quand même assez discutable, et ce prophète n'a certainement jamais dit tout ce qu'on lui a fait dire ! En outre, l'humanisme chrétien est fondé sur la « Révélation » et sur des textes manipulés au cours des siècles et souvent apocryphes, pour imposer la soumission, fût-ce à des degrés divers, à un dieu et à un livre « sacré » exclusifs.
Enfin, le christianisme, mal compris j'en conviens, a été et est encore, comme toutes les religions, source de communautarisme, d'intolérances et de violences.
Le « seul espoir », à mes yeux, ce serait plutôt de promouvoir l'alternative de l'humanisme laïque. Certes, il se passe de toute référence surnaturelle et transcendante, il est non confessionnel, mais pas pour autant antireligieux (il prône en effet le libre choix des convictions philosophiques ou religieuses), il conçoit une spiritualité laïque, une morale laïque, et il répond à l'aspiration croissante à l'autonomie et à la responsabilité individuelle (du moins dans la plupart des pays intellectualisés, et pour autant que les alternatives non confessionnelles ne soient pas volontairement occultées comme aux USA, en Irlande, en Pologne, etc.)
Il défend en outre des valeurs "universalisables", car bénéfiques et donc acceptables par tous et partout, telles que le respect de l'homme, de la femme et de l'enfant, la liberté de conscience et de pensée, etc.
Votre pensée, puisque vous vous dites « agnostique », rejoint au moins partiellement celle d' André COMTE-SPONVILLE, « athée fidèle », conscient lui aussi de l’influence de sa croyance chrétienne initiale : marchant la nuit en silence dans la forêt, il a ressenti « une grande paix, la suspension ou l’abolition du temps et du discours, une simplicité merveilleuse et pleine, comme si tout l’univers était là, présent, sans mystère ni question, (..), une béatitude, un premier instant de plénitude, … ».
Feu le neurobiologiste Henri LABORIT, lui aussi agnostique (c'est logique et cohérent pour un scientifique), était sensible comme vous au message d' « amour du prochain », puisqu'il a écrit « Jésus est mon ami », mais aussi et surtout : « Je suis effrayé par les automatismes qu’il est possible de créer à son insu dans le système nerveux d’un enfant. Il lui faudra, dans sa vie d’adulte, une chance exceptionnelle pour s’évader de cette prison, s’il y parvient jamais ». (« Eloge de la Fuite », page 59, et aussi dans le film « Mon oncle d’Amérique » d’Alain RESNAIS), ou encore, (répondant à Jacques Languirand, à Radio Canada) : « Vous n’êtes pas libre du milieu où vous êtes né, ni de tous les automatismes qu’on a introduits dans votre cerveau, et, finalement, c’est une illusion, la liberté ! »
Vous avez dit enfin : «l'affirmation de l'inexistence de Dieu est gratuite, elle relève du dogmatisme tout comme l'affirmation de l'existence de Dieu».
Certes, mais la psycho-sociologie constate que la foi n'apparaît pas spontanément chez les enfants de parents non-croyants, et qu'au contraire, statistiquement, il y a une fréquente corrélation entre une éducation religieuse excluant toute alternative laïque et la persistance de la foi (l'éducation coranique en témoigne hélas à 100 %, la soumission y étant totale).
Cela tend, me semble-t-il, à confirmer, si besoin était, l'origine exclusivement psychologique, éducative et culturelle de la foi.
Quant à sa fréquente persistance, au moins sous forme de déisme (cf Einstein), la neurophysiologie constate que si les hippocampes (centres de la mémoire explicite) sont encore immatures à l’âge de 2 ou 3 ans, les amygdales (du cerveau émotionnel), elles, sont déjà capables de stocker des souvenirs inconscients, et donc notamment les comportements religieux, voire les inquiétudes métaphysiques des parents, sans doute reproduits via les neurones-miroirs du cortex pariétal inférieur. Or, comme en témoignent certains scientifiques croyants, créationnistes et imperméables à toute argumentation rationnelle et même scientifique, ces traces neuronales sont indélébiles, et se renforcent même par « plasticité neuronale », au fur et à mesure des expériences religieuses.
D'ailleurs, les observations par IRM fonctionnelle et par tomographie à émission de positons, sur des religieuses notamment, suggèrent que le cerveau rationnel, le cortex préfrontal et donc aussi bien l’esprit critique que le libre arbitre sont inconsciemment « anesthésiés », à des degrés divers, par ces influences précoces, du moins en matière de foi, et indépendamment de l’intelligence et de l’intellect.
Il me semble dès lors « raisonnable » de penser que, dans quelques décennies, les neurosciences pourraient bien, si pas "démontrer", du moins suggérer, inciter certains à penser que l'existence de « Dieu » (qui de fait ne s'est jamais manifesté concrètement !), est seulement subjective, imaginaire et donc illusoire (étant entendu que la foi, surtout si elle a été choisie à partir d'alternatives, restera évidemment toujours un droit légitime et respectable).
Pour plus de détails : http://michel.thys.over-blog.org/article-une-approche-inhabituelle-neuroscientifique-du-phenomene-religieux-62040993.html
Bien que vous soyez déjà très sollicité, cher Professeur, je serais heureux de lire votre commentaire (mais surtout vos critiques).
Je vous en remercie déjà cordialement, et vous présente mes respectueuses salutations.
Michel THYS,
à Ittre, ancien croyant (comme vous, mais protestant « libéral »)
jusqu'à 21 ans, athée depuis plus de 50 ans.
Sa réponse :
Le 3/01/2012 14:58, Christian de Duve a écrit :
Cher Monsieur,
J'ai lu votre article avec grand intérêt et y ai retrouvé des sujets de concordance. Malheureusement, le poids des années et les responsabilités qui me restent me mettent dans l'impossibilité de poursuivre le dialogue. Comptant sur votre compréhension, j'espère que vous m'excuserez.
Bien à vous.
Christian de Duve
Cher Professeur de DUVE,
Merci pour votre réponse, dont je comprends évidemment la brièveté.
Avec toute mon admiration, et bien cordialement.
Michel THYS